Dien Bien Phu certainement les trois mots de la langue vietnamienne les plus prononcés par une génération de français du milieu du siècle dernier et réunis symbolisés un haut lieu chargé d’histoire mais situé ce fameux champ de « bataille » sur une carte du Vietnam était déjà plus difficile.

 

En 1954 quand j’étais encore adolescent et débutant dans ma carrière professionnelle ces mots étaient synonymes d’une défaite militaire retentissante et de la fin du colonialisme français en Indochine mais tout cela était bien loin de notre chère patrie.

C’est pourquoi en 1995 quand le monde hospitalier de l’ «Aide médicale à l’équipement» de Grenoble a sollicité Energie Sans Frontières pour réaliser en partenariat la réhabilitation de l’alimentation électrique de l’hôpital de Dien Bien Phu regroupant 200 lits je me suis tout de suite porté volontaire en complément de l’intérêt accordé au projet afin de concrétiser ce que j’avais entendu et lu sur cette fameuse cuvette.

Avec la participation active d’Yves et de l’équipe de la mission nous avons étudié la réalisation. Nous sommes partis à trois avec Thierry et Claude sur une période de trois mois de septembre à novembre, restant un mois chacun sur place. Mon rêve se concrétiser quarante ans après cette fois étant en retraite et je pourrais mettre des images sur ce qui représentait pour moi une grande page de l’histoire du peuple vietnamien.

 

Ce fut une formidable expérience travaillant avec six électriciens vietnamiens de la compagnie d’électricité locale et de Quan une jeune personne polyvalente d’une extrême gentillesse- comme tous ceux que l’on a côtoyé- qui logeait dans une pièce d’un bâtiment de l’hôpital et qui faisait fonction d’homme à tout faire depuis le gardiennage, l’entretien courant, l’ambulancier et surtout les relations entre le monde hospitalier et nous bien que lui ne parlait pas le français et nous encore moins le vietnamien !!!! Mais un geste ou un regard suffisait à nous comprendre.

 

J’atterris à Hanoi le 3 octobre 1995 et sur place je prends contact avec l’hôpital de Dien Bien Phu pour me récupérer le plus tôt possible à l’hôtel Especen. Le rendez-vous est fixé pour le lendemain matin de bonne heure, mais à Hanoi il y avait 3 hôtels Especen aussi ce ne fut qu’en fin de matinée, étant bien sur dans le dernier hôtel à être visité, que j’ai vu arriver une ambulance soviétique en mauvais état (700 000 km au compteur) mais conduit par le chirurgien chef de l’hôpital adjoint au directeur. Tout d’abord, j’avais pensé que l’on avait mobilisé les hautes autorités locales mais après renseignement cette personne avait un rendez-vous à Hanoi avec le Ministère de la Santé et profitait de son retour pour me véhiculer !!!!

 

Les 450 kilomètres entre Hanoi et Dien Bien Phu sur des routes en très mauvais état à 30 km/h ont nécessité un arrêt pour dormir vers Maïchau et ce n’est que le lendemain vers 22 heures que nous sommes arrivés à destination. Après ce voyage relativement fatigant de part l’inconfort du véhicule car le long de la route il s’est transformé en taxi brousse et par l’état des routes je pensais prendre un bon repos mais c’était sans compter sur l’hospitalité de nos hôtes et un comité d’accueil m’attendait avec discours, congratulations, repas sans oublier le traditionnel verre d’alcool de riz -même plusieurs je crois- accompagné de la célèbre formule 100% qui invitait le buveur à ingurgiter d’un seul trait tout le breuvage plutôt décapant pour l’estomac……

Les souvenirs de mon hébergement la première nuit furent assez confus mais la chambre me paraissait très correcte.

 Le lendemain matin, réveil matinal à 5 heures du matin par une musique militaire diffusée par haut parleur -j’avais l’impression qu’il était sous mon lit- ce qui me fut confirmé par la suite par un traducteur. En effet la mission était hébergée dans la « maison du peuple » hôtel d’état appartenant au Parti Communiste du district et c’est sur place que nous prenions  tous nos repas et tous les matins nous avons eu droit au réveil en fanfare….. Je retrouve Thierry qui me transmet les consignes et l’état d’avancement des travaux avant son départ pour la France et pendant un mois avec un médecin de Bordeaux, Catherine, nous fûmes les deux seuls européens dans cette ville de 20000 habitants.

 

L’hôpital était distant de deux kilomètres, j’avais loué un vélo chinois et tous les jours je faisais deux allers retours entre le lieu d’hébergement et l’hôpital. Les premiers jours, les habitants me regardaient pédaler avec curiosité puis bientôt les saluts ont remplacé la méfiance et je faisais partie du « paysage ».

 

Pendant mon séjour avec Quan j’ai eu la possibilité de visiter ce fameux camp retranché, les collines aux noms charmants de femmes, Dominique, Eliane, Béatrice, Huguette, Claudine, Marcelle, Gabrielle. Nos militaires étaient des poètes mais par contre de très mauvais stratèges car l’endroit choisi pour masser les troupes ne pouvait être qu’un piège…..

 

Au cours des journées passées à l’hôpital quelques scènes reviennent à ma mémoire.

 

Les opérations chirurgicales se pratiquaient dans une pièce éclairée par des fenêtres souvent entrebâillées pour assurer un peu de fraîcheur et les familles des patients assistaient, regardant par ces ouvertures, les gestes du chirurgien qui officiait dans des conditions d’hygiène tout à fait contestables. En effet, chaque malade était accompagné des proches parents car la nourriture et le lavage "étaient assurés par la famille qui campait sur place pendant tout le temps de l’hospitalisation. Ce temps était plus ou moins long car ce qui m’a marqué profondément c’était le matin de très bonne heure, en catimini, se sentant coupable, le convoi composé de deux vélos avec une perche en bambou supportée par les guidons et une bâche verte suspendue avec un corps à l’intérieur.

 

Par contre il y eu des moments agréables et plus décontractés comme les pauses thé servies par les infirmières ou les parties de badminton engagées entre tout le personnel hospitalier à partir de 6 heures laissant pendant une heure au moins le caractère d’urgence pour les soins et même pour les opérations.

 

Claude est venu me rejoindre fin octobre et le 4 novembre je prenais l’avion pour mon retour en France.

 

Je suis par la suite retourné deux fois à Dien Bien Phu dans le cadre de voyage et à chaque fois je me suis rendu à l’hôpital. D’abord en 1998 où j’ai été accueilli avec beaucoup de joie par mon ami Quan, le personnel hospitalier et le chirurgien chef qui avec fierté m’a montré l’évolution positive de son hôpital car il avait été nommé directeur et en 2002, reconnaissant beaucoup moins de personnes mais toujours accompagné par le même directeur qui m’annonçait la construction d’un hôpital moderne pour la province de Laïchau.